Jour 36 : de Henningsvaer à Matmora, 60 km
Total : 5 235 km
Ce matin on se réveille un peu chafoin. On sent comme une tension matinale, sans aucune cause. La fatigue du voyage et la vie en huit clos à l’extérieur à deux fait parfois naître de l’agacement qui n’a pas forcément de raison. Etre ensemble tout le temps non-stop durant 36 jours de suite ne laisse pas indifférent ! Après le café, Clément part faire des photos et moi je fais ma petite vie. On ronchonne dans notre coin pour finir par refaire une petite balade dans Henningsvaer ensemble, et acheter deux trois trucs et nous repartons direction le mont Matmora.
Saute-moutons à Matmora
Nous tournons un peu avant de trouver le terre-plein qui sert de parking au départ de la randonnée. Abrité sous les arbres, en bord de route, en bord d’eau, il est un peu caché entre deux villes donc il n’est pas très visible. Mais un tout petit panneau en bois « Matmora » confirme. C’est ici. Nous avalons nos traditionnels sandwichs du midi et hop à 14h30 c’est parti pour une randonnée de plusieurs heures !
Le début est un peu pentu, mais nous avons la pêche, et l’habitude. Nous croisons un couple qui redescend assez couvert, contrairement à nous mais bon la marche réchauffe ! Je vois peu à peu le van devenir tout petit jusque disparaître totalement. Nous suivons les indications du guide tel un jeu de piste. Nous grimpons, tournons, avançons, c’est assez agréable. L’ambiance est très montagne, vachette et Normandie, sans les vachettes. Arrivés au sommet, on croit que la poursuite n’est pas très loin. Grosse erreur !!! Il faut en fait marcher assez longtemps pour atteindre un autre point de vue, qui n’est toujours pas le dernier ! Mais en haut ce qui est agréable est qu’une grande partie de la randonnée se fait au plat sur des étendues et des étendues au-dessus du monde. La vue sur les fjords qui nous entourent est sublime, aucun risque de tomber, ni de vertige, car nous ne parcourons que des plateaux. A une ou deux exceptions ! Au deux tiers de la randonnée, nous avançons sur le flanc de la montagne, nous sommes seuls, c’est génial. Enfin presque seuls ! Les moutons, brebis et autres ovins se trouvent de part et d’autre de notre chemin ! La situation est drôle et cocasse ! Que faire ? Entre l’amusement et l’appréhension qu’un mâle ne nous charge, protégeant sa famille, Clément l’équivalent humain m’ouvre la voie et passe à travers la petite famille. Les animaux le suivent du regard, mais ne font rien. Je m’imagine courir mais je n’en aurais pas besoin. A mon tour de braver ce petit challenge, haut la main ! Nous les filmons bien sûr, ça n’arrive pas souvent dans le 19e d’être seuls entourés de moutons en liberté, à des centaines de mètres d’altitude.
La randonnée commence à être un peu longue, mais nous en voyons enfin le bout. La fin demande des efforts supplémentaires puisque se terminent par quelques montées caillouteuses dans le brouillard avant d’atteindre le Caïrn traditionnel de fin à 788 mètres d’altitude. Matmora tu es à nous !
Il était temps car le sommet commence à se perdre dans la brume et le chemin perd en visibilité, les nuages nous entourent et donne une tonalité complètement fantasmagorique au lieu. Petite pause rituel goûter-photos et hop on repart dans l’autre sens !
Le retour est encore mieux que l’aller, c’est vraiment génial. La brume se dissipe, le soleil revient c’est splendide. Sur les plateaux on s’amuse avec les moutons qui sont toujours là. Tellement qu’on tombe sur la troupe. Tout seul, on prend beaucoup de temps à regarder comment tout ce beau monde s’organise. On repère le chef de bande, qui veille à réunir la quarantaine de moutons. Ils se parlent d’un bout à l’autre du plateau, avant que les derniers ne courent pour rattraper les premiers à l’autre bout. C’est fascinant ! Nous on se prend pour des grands reporters de 30 millions d’amis, observateurs d’un cinéma qui se déroule depuis la nuit des temps. Mais ici pas de bergers, pas de chien, c’est une communauté auto-gérée, au naturel pur ! Nous sommes chez eux, sur leurs terres, ça se sent. Ils nous tolèrent car sont surement très habitués à l’homme et aux randonneurs comme tous les moutons de Norvège, mais tout de même on sent qu’on marche sur leur plate-bande ! Nous nous éclatons, bizarement nous sommes beaucoup moins fatigués qu’à l’arrivée au Cairn final. On fait plusieurs arrêts pour admirer le panorama à 360° que nous offre les plateaux. On est heureux avec nos moutons.
Et puis il faut bien redescendre. En chemin nous entendons régulièrement une sonnerie de téléphone. A travers les plateaux, il est difficile de bien situer d’où vient le son. On a l’impression que la sonnerie vient de plus bas sur notre gauche. Mille et un scénario nous viennent. Est-ce un randonneur blessé qu’on tente de joindre ? Est-ce un téléphone perdu ? Est-ce à un berger évanoui ? On hésite à partir en quête de ce téléphone, est ce que n’est pas non plus un sérial killer en train de découper une petite fille alors que sa mère l’appelle ? Clément pense que le téléphone n’est qu’un écho à l’agitation de la ville, beaucoup plus bas. Je ne suis pas bien sûr. Les théories s’entrechoquent et puis finalement la sonnerie cesse. Nous repartons entre la sensation d’avoir failli à notre devoir de sauver toute personne en détresse et celle d’avoir sauvé notre peau. On ne le saura jamais.
Nous arrivons en bas de Matmora à 21h30, 7 heures de randonnée, il était temps ! Dans le parking, il n’y plus personne à part un autre van. Nous décidons vu l’heure de rester ici pour ce soir. Et en inspectant le lieu : miracle des miracles : un espace feu ! Clément est trop content, je déplace le van à côté et nous partons tout de suite en quête de bois. Ça tombe bien, de là-haut, nous avions repéré une menuiserie de l’autre côté de la route, laissant des tas et des tas de copeaux et d’écorces de bois, destinés à la poubelle ! MAIS C’EST UN SIGNE ! C’est parfait ! On essaye aussi d’en trouver au bord de l’eau et on revient comme des guerriers pour notre soirée robinson bis répétita ! On s’installe pour notre second feu, qui part super bien ! Et cette fois-ci le concept Justin Bridou saucisses grillées au feu marche du tonnerre ! Un petit verre de rouge pour apprécier le tout et on est au top ! Nous passons notre soirée près du feu à se réchauffer et apprécier une fois de plus ce périple qui réserve bien des surprises. Les saucisses ne tombent plus dans le feu c’est bon ! A ce rythme-là, plus besoin de rentrer en France on peut dire qu’on est décidément super autonomes dans la nature ! La soirée est géniale, avec cette petite odeur de feu de bois qui nous colle aux vêtements et la sueur qui nous colle à la peau, entre le chaud du feu et le froid du pays, entre la fatigue naturelle et l’excitation de ce que nous vivons tous les deux, on est juste heureux. On finit par éteindre le feu un peu à contre cœur après avoir écoulé quasiment tout le stock de bois et à aller s’endormir complètement hors circuit dans notre petit nid douillet à deux pas. Le bonheur !