Jour 29 : de Reine au sommet de Helvetestinden, 0 km
Total : 4 923 km
Aujourd’hui grosse journée ! C’est la seule journée de soleil de la semaine d’après l’appli météo, donc nous en profitons pour gravir le mont Helvetestinden, littéralement « la montagne de l’enfer »… Voilà voilà, ça pose l’ambiance ! 🙂
Helvetestinden, l’inaccessible !
Helvetestinden est une montagne au pied de Bunes Beach, une plage cachée à Vindstad. Pour s’y rendre depuis Reine, où nous sommes, pas le choix, il faut prendre un petit bateau au port. On ne sait pas trop à quelle heure est le départ, le guide indique qu’il n’y a que deux ou trois allers par jour. Le premier étant à 9h. Pas de problème, on se base là-dessus. Le réveil sonne à 7h et nous prenons nos deux heures nécessaires et ritualisées pour ranger, ré-organiser le van et préparer nos affaires. Mais cette fois-ci ça ne rigole plus, on passe aux choses sérieuses. Le chat de gouttière à mes côtés et la scoute qui sommeille en moi sortons le grand jeu : ce soir bébé, j’te vends du rêve, c’est parti pour une nuit en haut de Helvetestinden, entre les étoiles et l’herbe-fraîcheur-polaire !
Du coup autant dire que je prends tous mes pulls, y’a un moment bon… Clément jongle entre tout son matos, je fais le tri dans les affaires de camping et nous voilà équipés comme des malades pour une ascension du tonnerre. Tente, duvets, pique-nique, lampes frontales. Tout y est ! Chargés comme jamais, nous quittons le van un peu précipitamment à l’approche de l’horaire fatidique. Comme de bons parisiens, on aime bien rester dans une ponctualité de type « on est laaaaarge ». Du coup on court bien sûr. Un coup d’oeil à l’office du tourisme (au cas où), fermé, et on arrive au port, qui est juste derrière. Bon nous sommes beaucoup beaucoup à avoir eu la même idée ! Il fait beau, la traversée dure une vingtaine de minutes et beaucoup vont passer la journée à la plage et revenir où y dormir. Je laisse Clément faire la queue et pars remplir les bouteilles d’eau quelques rues plus loin, en croisant les doigts pour ne pas nous mettre en retard. Ce serait dommage de manquer le bateau. A ma surprise quand je reviens, la file n’a pas bougé. Il semble qu’il y ait un petit souci…
En effet, un premier petit bateau est déjà parti avec des randonneurs et le second qui doit prendre le relais n’arrive pas. On voit les gens discuter – en norvégien – et partir, abandonner, repousser, sans trop savoir. Puis on finit par comprendre que le second bateau a un problème et ne viendra pas. Prochaine possibilité : à 14h ! Ah ! Bon. C’est dommage et il fait beau. On est un peu déçus de s’être levés si tôt pour rien car on est quand même un peu ko de ce rythme. Du coup, on part prendre un café, en attenant que l’office du tourisme ouvre pour poser des questions sur cette randonnée en complément des infos du guide. On nous y dit que la randonnée jusque la plage est une ballade d’une heure, puis que la montagne se grimpe en deux-deux. Qu’il y a au sommet, possibilité de pousser jusqu’au pic. Accessible avec une super vue. Ok, on verra bien. Nous retournons donc au van, essayer d’optimiser encore un peu plus nos sacs à dos, manger notre boite de raviolis sous le regard des piétons à côté de nous. On sent qu’on est au top du glam’, notre dernière douche remonte à 1 000 ans, on est biens là !
En début d’après-midi nous revoilà au port. Un peu en avance, je prends le soleil, allongée à attendre tel un chat qui ronronne. Clément prend toujours et inlassablement des photos. Il gère l’aspect logistique du bazar et nous finissons par prendre ce fameux bateau tant attendu, serrés comme des sardines. A demain Reine ! Allons voir si il y a plus beau que toi !
Helvetestinden, petit coin de paradis des Lofoten
Armée de la goPro je filme le spectacle qui s’offre à nous. Nous naviguons entre les montagnes, à regarder les très rares maisons rouges perdues. Et puis la traversée de 20 minutes se prolonge, se prolonge, se prolonge… Il y a plusieurs arrêts (au lieu des deux), on est un peu perdu, on ne comprend pas tout mais on fait confiance. On voit des maisons abandonnées ici et là, des endroits où la vie s’est arrêtée, dans un décor bercé par les vents. Rien de lugubre, plutôt du paisible. Au bout d’une heure (???), nous arrivons enfin à bon port.
Et là, là c’est très très très très beau ! L’eau est transparente, elle me fait penser à celle de Corse. Je suis un peu scotchée sur le ponton, concentrées sur cette couleur. L’eau transparente quand même ce n’est pas trop ce que nous avons vu depuis le début. Et puis les autres les autres randonneurs se changent complètement avant de partir. Uhm. Je suis un peu sceptique devant tant d’organisation chez les autres…
Le romantisme du lieu est très rapidement mis à mal, puisque tels deux commandants en chef, nous avons un réflexe commun de prendre le guide pour suivre les instructions de la randonnée. Bon. Clément veut le guide, je veux le guide. Le truc bête qui titille les nerfs et PAF pastèque, un petit feu d’artifice explose en tout début de ballade. Ca crie, ça balance, ça compte les points sec, à un mois H24, ça fait le bilan au moment le moins approprié, dans le lieu le moins approprié ! Yallah ! Je pars bouder devant et calmer ma tension, Clément fait sa vie et se planque dans son appareil photo pour respirer un coup. Une ambiance au top !
Mais nous sommes un binôme, perdu au fin fond de nulle part. Pas d’échappatoire ni de fuite possible. Uhm. Bon. Petit à petit, nous sommes un peu obligés de se concerter pour prendre des décisions ensemble. Tant bien que mal la ballade avance et nous voilà déjà arrivés à la plage. En effet une heure, qui est passée en un clin d’oeil.
L’endroit est féerique. Effectivement, il s’agit bien d’une plage isolée de sable blanc, cachée derrière les montagnes. Les quelques autres randonneurs vont camper ici. Nous regardons le sommet, pas forcément très haut c’est surtout l’état de la montée qui nous pose question. Il n’y a pas vraiment de chemin, en tout cas, on ne le voit pas et une grande partie est constituée d’énormes pierres en dénivelé. On se met à envisager de laisser nos affaires et la tente qui pèse un peu sur la plage le temps de la randonnée, on évalue l’hypothèse de camper comme les autres en bas et non en haut, mais ce n’est pas vraiment le projet de base. Bon tant pis, on la garde et on garde le reste ! Nous serons plus lents et puis c’est tout.
Helvetestinden, l’enfer à portée de pas !
Alors on y va ! Nous quittons l’ambiance balade et Petite maison dans la prairie pour une ambiance trek et Indiana Jones. Un changement de décor radical au même endroit. Nous partons de la plage donc à l’ouest de la montée, car deux jeunes femmes sont de ce côté là, un peu plus haut. L’ambiance est toujours assez tendue mais la complexité du terrain force la bienveillance. Il n’y a pas vraiment le chemin promis même si nous voyons grossomodo ce que nous devons faire : tôt ou tard, il faudra arrêter de monter et traverser les roches d’ouest en est pour reprendre le bon axe et atteindre le premier étage vers le sommet. Le chemin fera ensuite un virage vers l’ouest pour un premier pic au dessus de la plage et pour les plus téméraires le chemin se poursuit un peu plus loin pour atteindre le second pic.
Plus nous montons, plus nous nous disons qu’il y a un souci, que la traversée est trop compliquée. Nous voyons aussi que les deux jeunes femmes sont bloquées plus haut. Elles essayent tant bien que mal de rejoindre la rive droite des pierres mais elles sont vraiment en difficulté. Nous faisons une pause. Les sacs sont lourds et le chemin trop compliqué. Nous reconnaissons que nous avons fait une erreur en suivant les filles de loin, et rebroussons chemin pour changer de piste. En redescendant, Clément aperçoit un semblant de sentier boueux entre les pierres. Bonne pioche Sherlock, en effet c’est ce chemin que nous avons tant de mal à trouver ! On repart donc, slalomant entre les blocs de pierres et arrivons du côté est. Cette partie se fait quasiment à plat donc c’est relativement accessible, mais nous avons perdu une heure quand nous commençons la montée. C’est difficile, c’est raide et boueux, les grosses pierres glissent et les sacs pèsent. Il faut souvent escalader, s’accrocher de ses mains, enjamber à la verticale. Je maintiens un rythme assez distant de celui de Clément qui va bien plus vite. Je crois qu’on a aussi un peu besoin de marcher seuls chacun dans son coin mais en visu de l’autre. Il vérifie régulièrement si je le suis. Je le suis. La tente pèse 5 fois son poids, le sentier est vraiment compliqué. En soit la rando n’est pas longue, ni très haute, mais c’est juste trèèèèès cabossé, très raide et très boueux. Et puis au bout de 10 000000 0000 rochers escaladés, nous voilà arrivés au premier étage d’Helvetestinden !
La vue est déjà canon, tout autour de nous se dessinent des montagnes et des sommets qui prennent leurs origines dans l’eau des fjords ! Devant la mer, sur les côtés les sommets… Waaaa…. Ici il y a de la place, un petit plateau d’observation. On se dit qu’on pourrait dormir ici, il y a la place de mettre la tente et la vue est très belle !
Helvetestinden domine la Bunes Beach
Mais il reste encore un petit bout de chemin jusqu’au premier pic. Indiana Szmulewicz est revigoré et moi un peu plus anxieuse pour la suite. Le chemin se rétrécit, je suis moyen à l’aise, mais nous faisons attention. Arrivés au premier sommet, nous déposons enfin nos sacs ! Fiers de notre exploit, on ne poussera pas pour autant l’attaque du second sommet car trop dangereux. Clément est aux anges tandis que je m’assieds car mes jambes se mettent à trembler à la vue du panorama et du vide là là tout à côté de nous !
Une crise de vertige me prend, et les larmes montent, probablement aussi dû au pic d’émotions et de la fatigue accumulée. Clément Jones me réconforte mais je ne peux plus trop bouger. A ce moment, je me concentre pour ne pas tomber en crise de panique. Je laisse les larmes couler pour expulser la tension, je me calme, respire lentement en me calant sur une pierre. Une randonneuse norvégienne me console aussi et m’explique que Helvetestinden, le nom de la montagne signifie « la montagne de l’enfer », qu’il est donc normal d’être un peu fébrile ! Oui c’est le mot « fébrile », je suis fébrile ! Je reprends un peu le sourire et décide à ce moment là de devenir bouddhiste. Je ne bouge plus d’un centimètre et tente de me connecter à la nature comme font ces hommes habillés de orange. Over simple.
Clem s’éclate de son côté à prendre des photos avec tout l’attirail de la FNAC et de Nikon réunit. La gopro, la 360°, Instagram, le classique, tout y passe. Il ravit les fans de son compte Instagram avec un petit direct. C’est vrai que c’est splendide. On se sent un peu comme des oiseaux, libres au dessus de l’eau, le panorama est à couper le souffle, entre-coupé de sommets et d’eau, la plage en bas. Le sommet domine le sable. Splendide.
Camper tout là haut, parce que l’enfer le vaut bien
56 cigarettes et 684 photos plus tard, notre température redescend et le froid devient trop dur. Helvetestinden est un sommet éprouvant. Nous décidons de retourner au premier arrêt pour planter notre nid. Hop demi-tour vers le terre-plein, où nous cherchons le meilleur endroit pour abriter la tente du vent, du froid et au plat. Nous trouvons rapidement. Clément continue de bidouiller ses objectifs et moi je laisse exprimer mes années de scoutisme. L’igloo Quesua prend forme, on se fait une joie à l’idée de boire une soupe bien chaude pour admirer le coucher du soleil de notre point de vue. Spectacle éblouissant. Moment qui fera partie de notre top 5 probablement. Le ciel est rose et embrasse les pics. C’est vraiment époustouflant
Je file sous la tente préparer le pique-nique… sauf que… AH AH AH j’ai oublié la popote ! Donc nous avons bien le réchaud mais pas de récipient pour faire cuire dessus ! NOOOOOOOOOOOOOOONNNNNNN PAS CAAAAAAAAAAAA !!!!!!! Le drame ! Déception immense car il fait trèèèèèès froid ! Comment faire. Nos âmes de Mac Gyver cherchent une solution, nous en trouvons une qui vaut ce qu’elle vaut : habiller une bouteille en plastique d’aluminium et essayer d’y faire chauffer de l’eau… Nous voilà en atelier survie, à découper la bouteille d’eau, récupérer l’aluminium des sandwichs et des oeufs durs et stabiliser le réchaud. On tente de ne pas faire fondre le plastique tout en le faisant chauffer, #looze ! (Note de l’auteur : les enfants à ne jamais faire bien sûr.) Mouhahaha, à part un bon fou-rire, quelques frayeurs, nous arrivons péniblement à rendre l’eau tiède au bout de 20 minutes mais surtout imbuvable ! Tant pis la chaleur sera imaginée ! Nous nous rabotons sur le pique-nique, mais il fait tellement froid que nous le mangeons dans la tente.
En fait il n’est plus trop possible de rester dehors. Il est déjà bien tard. Epuisés et congelés nous sortons 10 minutes admirer une fois de plus la vue offerte par Helvetestinden et allons nous couvrir de tous les pulls et collants pour réchauffer le moindre millimètre de notre peau. Emmitouflés dans nos duvets et sacs à viande, on ne voit plus que les yeux de l’autre, et apprécions la chaleur qui nous enveloppe progressivement. Nous nous endormons complètement rincés, entre deux pierres, sur une vue imprenable, et relativement confortablement ! Des images plein la tête, un exploit de plus, nous sentons les corps se détendre, un petit fou-rire pour faire passer le tout et les flash-back du jour nous happent rapidement pour un songe réparateur. Nous mettons un réveil au cas où, car demain il s’agit d’aller vite pour ne pas manquer le seul bateau de la matinée pour repartir à Reine : à 10h !